Une découverte de la vision jungienne avec Viviane Thibaudier et Pierre Zémor.

Viviane Thibaudier est l’auteure de 100 % Jung (Eyrolles) et l’ancienne présidente de la Société française de psychologie analytique.

 

Interview

 

Pierre Zémor : Le titre de votre livre « 100 % Jung » donne l’impression qu’il y a un rattrapage à faire. Est-ce que Jung n’est pas mieux connu dans les pays anglo-saxons, ou même en Amérique latine qu’en France ? Pourquoi ?

Viviane Thibaudier : Oui c’est vrai. D’une part parce que ses livres ont plutôt été traduits en anglais et dans d’autres langues qu’en français, mais surtout parce que Jung n’est pas… cartésien, en quelque sorte. Il fait place à l’irrationnel et au spirituel dans son oeuvre et c’est difficile, en France, d’accepter.

 

P.Z. : La France cartésienne n’offre pas un bon humus pour que les pousses Jungiennes puissent se développer. Mais il devient cependant de plus en plus d’actualité car le spirituel est normalement à l’ordre du jour du XXIe siècle.

V.T. : Oui, il semblerait. C’est ce qu’avait dit Malraux : « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ».

 

P.Z. : La dimension religieuse est importante chez Jung ?

V.T. : Tout dépend ce qu’on appelle la dimension religieuse. Oui dans la mesure où cela signifie se relier à, être en relation avec.

 

P.Z. : Il est peut-être d’actualité parce qu’il nous aide à nous ouvrir vers l’Orient, l’Asie, vers des cultures Taoïstes par exemple…

V.T. : Tout à fait, il se sentait très mal à l’aise pendant une très longue période de sa vie. Jusqu’au jour où il a reçu un manuscrit Taoïste qui lui a fait comprendre que les expériences qu’il vivait étaient des choses tout à fait courantes dans d’autres cultures, et en particulier les cultures asiatiques.

 

P.Z. : Donc il revendique presque une dimension universelle ?

V.T. : Tout à fait. Avec ses concepts d’archétype et d’inconscient collectif en particulier.

 

P.Z. : Les archétypes, ça peuple l’inconscient collectif. C’est assez peu Freudien. C’est peut-être là-dessus que c’est fait le divorce entre Jung et Freud ?

V.T. : Oui, tout à fait. Ils ont beaucoup discuté à propos de la naissance de la psychanalyse et Freud tenait beaucoup à ce que ce soit orthodoxment scientifique. Pour Freud, c’était très important d’être reconnu par la communauté scientifique.

 

P.Z. : Pourtant les sciences humaines ont du mal à être considérées comme de véritables sciences…

V.T. : Tout à fait. En tout cas pour Jung, le problème était de percevoir les multiples entrées possibles de la psyché humaine. Et cela passait entre autres par des phénomènes qui, peut-être, ne sont pas orthodoxes…

 

P.Z. : Orthodoxes lorsqu’on on a décrété qu’il n’y avait que l’inconscient individuel. Mais l’inconscient collectif arrive. Et qu’en pense Freud ?

V.T. : Freud n’est pas tout à fait d’accord parce que pour lui, c’est très important que tout passe par l’inconscient qu’il a lui-même définit – c’est-à-dire ce que Jung a appelé « l’inconscient personnel », l’inconscient résidu de mon histoire personnelle, celle que j’ai rejetée.

 

P.Z. : Qu’est-ce qui peut gêner le fait que ce que je trouve dans mon inconscient personnel puisse être accroché à un archétype – quelque chose qui a été trouvé par d’autres, sous d’autres formes, dans d’autres continents… Qu’est-ce que c’est que l’archétype ?

V.T. : L’archétype est quelque chose de très important dans la théorie Jungienne. Ce sont des matrices de représentation. Des matrices qui permettent à des figures de s’installer.

 

P.Z. : C’est donc en amont des figures et c’est une clé de compréhension des symboles que l’on trouve dans l’inconscient individuel…

V.T. : Tous ces symboles qui émergent… Les archétypes créent des symboles. L’inconscient collectif est fait d’archétypes et les archétypes créent des symboles, des images.

 

P.Z. : On peut prendre quelques exemples ; la Grande Mère, le sauveteur, la victime… La Grande Mère par exemple.

V.T. : Pour Jung, la Grande Mère c’est l’inconscient originel, la Mère de toute chose, la Mère toute puissante… Elle peut prendre différentes formes : la Vierge Marie, Callie en Inde…

 

P.Z. : Avez-vous un exemple d’un rêve de patient qui attesterait de cette référence à la Grande Mère ?

V.T. : Bien sûr, ce n’est pas uniquement quelque chose qui vient du Moyen Âge. Cela a toujours existé, cela arrive dans toutes les cultures. Je pense à ce jeune homme philosophe qui a un jour rêvé qu’une immense femme dormait dans un champ fleuri. Et entre les jambes de cette femme, montaient des centaines de petits bonshommes qui allaient vers son sexe et ce sexe était un pénis en réalité – symbole de la Toute Puissance, c’est-à-dire qu’elle contient tout, aussi bien le féminin que le masculin. Et tous ces petits bonshommes se pressaient pour aller se nourrir à ce Saint pénis d’où sortait aussi bien du lait nourrissant qu’une substance fécondante.

 

P.Z. : Devant un tel rêve, Freud ne peut pas s’empêcher de faire référence à un archétype. Et là Jung propose une gamme de références. Qu’est-ce qui fait que Freud, après une grande proximité de travail, filiation même vers Jung, rejette cette gamme d’archétype ?

V.T. : Pour lui ce n’est pas suffisamment rationnel. Il veut tout faire rentrer dans sa théorie qui passe par la sexualité. Par exemple, ce rêve passe par la sexualité. Mais pour Jung, ce n’est pas ça. C’est plus une fécondation, un désir de se nourrir à quelque chose. Ca n’exclue pas la sexualité, mais ça n’est pas que ça. Voilà la différence.

 

P.Z. : Donc ce qu’aurait fait Freud aurait été un peu réducteur, de réduire cela à Oedipe ?

V.T. : Oui. Parce que là, on n’est vraiment pas dans Oedipe dans un rêve comme celui-là.

 

P.Z. : Oedipe pourrait être un archétype…

V.T. : Oedipe est un archétype. Mais ce n’est pas le seul ; il y en a des centaines d’autres.

 

P.Z. : Et Jung reproche à Freud de s’en tenir à ce seul archétype…

V.T. : … un archétype que Freud n’appelle pas archétype d’ailleurs.

 

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